Tribunal
permanent des peuples : Les violations des droits de l'homme
en Algérie |
Comité Justice pour l’Algérie
Communiqué de presse
Paris,
11 novembre 2004
Le
Tribunal permanent des peuples qualifie les violations massives des droits
de l'homme commises en Algérie
depuis 1992 de crimes contre l'humanité
32
e session du Tribunal permanent des peuples sur les violations des droits
de l'homme en Algérie (1992-2004)
Le
Tribunal permanent des peuples, saisi par le Comité Justice
en Algérie (CJA) sur la question des violations des droits de l'homme
en Algérie (1992-2004), a rendu le 8 novembre 2004 une sentence
détaillée (dont la version définitive sera très
prochainement rendue publique).
Le
Tribunal précise en préalable que :
- les
conventions internationales et les règles coutumières
s'adressent principalement aux États. Il en résulte que l'État
a la responsabilité du maintien de l'ordre et de la sécurité pour
tous sur l'ensemble du territoire. L'État peut donc être déclaré responsable
des violations des conventions internationales constatées sur son
territoire ;
- le
fait que les organisations politiques et/ou militaires, telles que les
groupes armés islamistes , ne soient pas des sujets du droit
international, n'exclut pas qu'ils puissent être dénoncés
et condamnés comme responsables de violations des droits de l'Homme.
Les
faits et témoignages présentés lors des travaux
constituent, d'après le Tribunal, des violations flagrantes, de
la part des autorités algériennes et de différents
groupes armés qui se réclament de l'Islam, de plusieurs conventions
internationales. Ces faits et témoignages constituent en même
temps une violation des règles générales coutumières
du droit international pour ce qui concerne la définition des
crimes contre l'humanité et des crimes de guerre . Les dispositions
de la Charte d'Alger, concernant les droits des peuples, adoptée
en 1976 par de nombreuses personnalités et des organisations non
gouvernementales, ont également été violées.
Le
Tribunal estime que la raison principale de la spirale de violence qui
a touché l'Algérie après 1988 est l'absence de
l'État de droit, due essentiellement à l'ingérence
du pouvoir militaire dans la vie politique, économique et juridique,
c'est-à-dire d'un système juridique qui ne tolère
aucun pouvoir clandestin ou non assujetti à la loi, qui soumette
la force au droit et les pouvoirs publics à la garantie des droits
fondamentaux, notamment le droit à la vie. Dans cette perspective,
le Tribunal a notamment établi les constats suivants.
- Le
Tribunal considère
que les massacres rapportés
sont des attaques systématiques ou généralisées
sur des populations civiles et que leurs auteurs et leurs complices sont
responsables de crimes contre l'humanité au terme de la définition
donné par le statut de Rome de la Cour pénale internationale
(art. 7-1) ; le Tribunal relève que la responsabilité directe
ou la complicité des forces militaires dans ces massacres est clairement
engagée et que la manipulation par les forces de sécurité des
groupes armés islamistes ne disculpe pas ces groupes de leur responsabilité dans
la commission de ces crimes contre l'humanité.
- Le
Tribunal considère
que, compte tenu de leur nature, de leur ampleur et des conditions qui
les entourent, les milliers de disparitions
forcées constituent des violations flagrantes du droit international
général et des conventions internationales ratifiées
par l'Algérie ; ces violations répétées
ou systématiques constituent des crimes contre l'humanité suivant
l'article 7-1-i du statut de Rome de la Cour pénale internationale ;
le Tribunal relève que la proposition faite aux familles de « disparus » d'une
indemnisation financière, équivaut pour l'État algérien
a l'admission implicite de sa responsabilité dans les disparitions
qui ont eu lieu.
- Le
Tribunal décide
que les crimes de torture qui ont été pratiqués
par les forces de sécurité de l'État et par leurs
auxiliaires en Algérie en octobre 1988 et à partir de
1992 jusqu'à ce jour de façon systématique ou généralisée
contre la population civile sont des crimes contre l'humanité.
- Le
Tribunal a pris en considération les enlèvements
de jeunes femmes suivis de viols , commis par des membres de groupes
armés islamistes . Il a aussi étudié les viols et
abus commis par des membres des forces de sécurité et leurs
auxiliaires. Le Tribunal décide qu'il s'agit, dans les deux cas,
de crimes contre l'humanité.
- Le Tribunal
souligne que la violence continue aujourd'hui à faire
des victimes en Algérie et qu'aucune solution politique ne semble être
engagée pour mettre fin aux souffrances du peuple algérien
et pour lui permettre d'exercer pleinement son droit à l'autodétermination.
Le
Tribunal ne se contente pas de condamner sévèrement
les responsables des crimes contre l'humanité, il préconise
une série de mesures :
- une
sérieuse « opération-vérité » ,
menée, si la société algérienne ne pouvait
le faire elle-même, par une commission pour la vérité des
Nations unies, pour vérifier et ne pas oublier les crimes qui ont été accomplis,
encore plus que pour les punir ; le Tribunal rappelle que le droit
international établit le droit des citoyens à la justice
et que l'État de droit n'existe pas si la violation des droits fondamentaux
de l'Homme n'est pas jugée et si les responsables des crimes ne
sont pas punis en accord avec les règles d'un procès équitable.
Dans le même sens, le Tribunal invite l'État algérien à autoriser
les rapporteurs spéciaux prévus par toutes les Conventions
de l'ONU à accomplir leur mission sur le territoire algérien
et rappelle que toute mesure qui aurait comme résultat l'oubli et
l'effacement des horreurs, est inacceptable pour la conscience éthique
et juridique. On ne peut tourner la page qu'après l'avoir entièrement éclairée
et non effacée.
- le
respect de la Constitution algérienne et la valorisation des
principes démocratiques établis par celle-ci, notamment en
appliquant une effective et réelle séparation des pouvoirs
pour éviter toute hypothèque sur les institutions algériennes
par le pouvoir militaire ; d ans ce sens, le Tribunal demande que,
pour assainir la vie politique, soit mis un terme aux activités
de la police politique : l'autonomie des partis politiques, des syndicats
et des associations est une exigence fondamentale pour construire un État
démocratique.
- l'amélioration du système législatif algérien
en mettant un terme à l'état d'urgence, en abrogeant les
différentes lois d'exception en contradiction avec les droits et
les libertés fondamentaux établis par la Constitution algérienne,
y compris le Code de la famille de 1984.
- l'obligation
pour l'Union européenne - dont le tribunal souligne
l'existence d'une responsabilité spécifique, notamment en
raison de la déclaration de partenariat euroméditerranéen
de Barcelone de 1995, ainsi que de la « nouvelle politique de
voisinage » signée en 2004 - d'imposer à l'Algérie
le respect des droits fondamentaux comme condition de la subsistance des
rapports de partenariat.
Pour
rappel :
C'est
par lettre du 6 juin
2003 que le Comité pour la
Justice pour l'Algérie a adressé une requête
au président du Tribunal permanent des peuples aux fins de saisine
de cette juridiction internationale sur les violations des droits de
l'Homme en Algérie, particulièrement depuis 1992. Cette
initiative a reçu le soutien d'ONG algériennes et internationales
*, de deux Prix Nobel de la paix, Shirin Ebadi (Iran, 2004) et Adolfo
Perez Esquivel (Argentine, 1980) et de nombreux particuliers et personnalités.
Conformément aux statuts du Tribunal, les lieux, dates et contenus
de la session ont été communiqués, le 28 septembre
2004, au gouvernement algérien, à travers ses ambassades
en Italie et en France, en l'invitant à exercer son droit à la
défense. Aucune réponse n'a finalement été obtenue
par le Tribunal, et aucun représentant des autorités algériennes
n'était présent durant la session.
Après les auditions de témoins et d'experts, qui se sont
déroulées publiquement les 5 et 6 novembre, en présence
de plus de 250 personnes, le tribunal a délibéré le
7 novembre et rendu publique, le 8 novembre, sa sentence.
L'intégralité des documents relatifs à la 32 e session
du TPP (en particulier les dix-neuf dossiers détaillés établis
par le CJA à l'attention du Tribunal et le texte complet de sa sentence)
sera très prochainement publiée sur le site www.algerie-tpp.org.
Comité Justice pour l'Algérie,
c/o Cedetim, 21 ter , rue Voltaire, 75011 Paris
Site
Web : www.algerie-tpp.org. Adresse mail :
info@algerie-tpp.org
* Ligue
algérienne pour la
défense des droits de l'Homme (LADDH) ; S.O.S. Disparus ;
Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT) ;
Association droits de l'Homme pour tous (ADHT) ; CEDETIM ; Collectif
des familles de disparu(e)s en Algérie ; Ligue française
des droits de l'Homme (LDH) ; Pro-Asyl ; Algeria-Watch ;
Amnesty International ; Comité international pour la paix,
les droits de l'Homme et la démocratie en Algérie (CIPA) ;
Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme
(FIDH) ; Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ; Reporters
sans frontières (RSF) ; Réseau euroméditerranéen
des droits de l'Homme (REMDH) ; Union syndicale-G10 Solidaires ;
SODEPAU (Solidarité pour le développement et la paix) ;
Association SHERPA ; Fondation Lounès Matoub (Algérie) ;
Corsica Internaziunalista ; Association des travailleurs maghrébins
de France (ATMF).
TPP
- Algérie |