Tribunal
permanent des peuples : Les violations des droits de l'homme
en Algérie
|
Résumé du Dossier
n° 2 : Les massacres en Algérie,
1992-2004
(Salima Mellah)
Dossier
complet (pdf)
Les massacres de masse, faisant à chaque fois des dizaines, voire
des centaines, de victimes, ont particulièrement frappé,
par l’horreur de leurs circonstances, l’opinion internationale
lors des « années de sang » en Algérie. Systématiquement
attribuées par les autorités aux groupes armés islamistes
(et souvent revendiqués par les GIA), ces tueries aveugles de
civils se sont multipliées à partir du début de
1996, atteignant des dimensions incroyables en 1997 et 1998. Ce dossier,
nourri de nombreux
témoignages, tente de reconstituer la logique infernale qui a
conduit à cette
folie sanguinaire, pour en cerner les responsables les plus probables.
Au lendemain du coup d’État du 11 janvier 1992, suite à la
répression féroce qui s’abat sur le vainqueur des élections
législatives, le FIS (Front islamique du salut), différents
groupes armés islamistes s’opposant au régime militaire
voient le jour. Rapidement, ils s’en prendront aux policiers,
mais il faudra plus d’un an pour que cette opposition armée
très
hétéroclite devienne une véritable menace pour
les forces gouvernementales. Les groupes de maquisards islamistes font
alors
la guerre aux forces de l’ordre et à ceux qu’ils considèrent
comme des « suppôts de l’État ».
Jusqu’en 1995, la presse nationale et internationale parle surtout
d’« homicides », désignant aussi bien les exécutions
extrajudiciaires commises par les forces de l’ordre que les assassinats
individuels perpétrés par les groupes armés. À partir
de 1995, le terme de « massacre » est progressivement employé pour
qualifier des tueries. Alors que l’opinion internationale avait
conscience que la lutte antiterroriste menée par le pouvoir se
soldait par des milliers de personnes exécutées sommairement,
il a fallu attendre que l’horreur des massacres commis à partir
de fin 1996 prenne une ampleur indescriptible pour que les questions
relatives aux responsables et commanditaires surgissent de manière
pressante et que des premiers éléments de réponse
voient le jour.
Pourtant, sur le terrain, un revirement avait eu lieu dès l’année
1995, quand l’armée et le DRS (Département du renseignement
et de sécurité, ex-Sécurité militaire) reprirent
progressivement le contrôle de la situation. Singulièrement,
plus les groupes armés seront disséminés et affaiblis,
plus la violence s’amplifiera et se complexifiera. Les acteurs
seront multiples : des militaires, forces spéciales et miliciens
agiront ouvertement ou en se faisant passer pour des groupes armés
islamistes ; des escadrons de la mort « laïcs » ou « islamistes » en
service commandé par le DRS ainsi que des faux groupes armés
séviront, tandis que des groupes islamistes autonomes frapperont
de manière indépendante ou en étant infiltrés
de membres du DRS.
Cette confusion obéit en réalité largement à une
stratégie de guerre anti-insurrectionnelle du pouvoir, qui a son
prolongement politique. Elle s’est affinée au fil des ans,
puisque le gouvernement algérien a réussi à faire
taire tous ceux dans l’opinion publique nationale et internationale
qui exigeaient des enquêtes indépendantes pour établir
les responsabilités dans ces massacres. Si les décideurs
militaires n’ont pu se laver de l’accusation de n’être
pas intervenus pour protéger les populations en danger, ils ont
pu déjouer les suspicions concernant leur implication directe
dans les massacres.
Or ces suspicions sont très solidement fondées par un ensemble
de faits troublants qui relèvent du contexte politique général,
mais aussi par de nombreux témoignages de rescapés et de
déserteurs de l’armée.
Les attentats et les massacres n’ont jamais cessé à ce
jour, même s’ils ne font plus l’objet que de minuscules
entrefilets dans les journaux occidentaux. Cette « banalisation
du crime » permet depuis le début des années 2000
de montrer une image de l’Algérie pacifiée, contrôlée,
sécurisée. Il est vrai que depuis que Abdelaziz Bouteflika
est président (avril 1999), leur nombre a baissé ; en revanche,
la confusion et l’opacité qui les entourent se sont intensifiées
et les rendent encore plus difficilement déchiffrables que dans
la période qui précédait son premier mandat. Ce
qu’il
est important de relever, c’est que toutes les structures qui ont
permis, d’une part, de commettre ces crimes et, de l’autre,
d’instaurer l’impunité, sont toujours en place, de
sorte que la machine peut à tout moment s’emballer à nouveau.
Il est urgent de faire aujourd’hui la lumière sur ce qui
s’est
réellement déroulé depuis le putsch du 11 janvier
1992, car la paix civile et la stabilité ne sont possibles qu’après
une reconnaissance de la souffrance des victimes, la désignation
des responsables des crimes et l’engagement d’un processus
de réconciliation basé sur la vérité et la
justice. C’est dans ce sens que la demande d’une commission
d’enquête indépendante sur les massacres en Algérie
reste pleinement d’actualité en 2004.
TPP - Algérie
|