Tribunal
permanent des peuples : Les violations des droits de l'homme
en Algérie
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Résumé du Dossier
n° 5 : Les exécutions
extrajudiciaires
(Vincent
Genestet)
Dossier
complet (pdf)
La tragédie qui perdure depuis plus de dix ans en Algérie
est caractérisée par la confusion et par l’opacité qui
l’entoure. Tandis que le discours officiel fait état de
quelques milliers de morts (le chiffre officiel, début 1998, était
de 26 500 morts), qui auraient été tués dans leur écrasante
majorité par les groupes armés, les observateurs avertis
avancent le chiffre de 200 000 morts jusqu’à nos jours et
le président Bouteflika a, au moment de son investiture en 1999, évoqué le
nombre de 100 000 morts.
Les origines de ces morts sont diverses, mais un grand nombre relève
d’exécutions ex-trajudiciaires (EEJ dans la suite du texte).
Dans ce dossier, elles sont définies comme des interventions des
services chargés directement ou indirectement par l’État
de la sécurité (armée, police, gendarmerie, services
spéciaux, groupes d’autodéfense) ayant entraîné la
mort des citoyens concernés, en dehors de toute procédure
légale.
Pour rendre compte de l’ampleur de ce type d’exécution,
comme des facteurs qui ont pu les déterminer, à un moment
ou à un autre, ce dossier aborde successivement : a) les différents
types d’EEJ que l’on a pu constater, en les caractérisant
chaque fois par quelques exemples ; b) l’analyse quantitative d’un
fichier constitué de 1 100 cas d’EEJ ; c) un essai de périodisation
du recours aux EEJ, en rapport avec le contexte socio-politique, ouvrant
sur des hypothèses sur la place de telles exécutions dans
la stratégie des « décideurs ».
L’analyse des différents cas, recensés non sans difficultés
par les militants des droits de l’homme, comme par les organisations
internationales, fait ressortir les situations suivantes :
—
répressions, massacres collectifs sur des populations civiles « présumées
favorables aux groupes islamistes » (voir Dossier
n° 2) ;
—
assassinats individuels immédiatement après une arrestation
;
—
exécutions en pleine rue ;
— éliminations physiques pendant une garde à vue ;
—
exécutions après torture, exécution non confirmée
(pas de récupération du corps) ;
— élimination physique de détenus (comme dans la prison de
Berrouaghia en novembre 1994 et celle de Serkadji en janvier 1995) ;
—
usage d’armes à feu par les agents de l’État,
dans un contexte de manifestations ;
—
usage inconsidéré d’arme à feu par des agents
de l’État (parfois à des fins personnelles) ;
—
exactions perpétrées par les milices.
L’approche quantitative menée ensuite n’a pas l’ambition
démonstrative que peut avoir une telle analyse dans un autre contexte,
compte tenu de la difficulté avec laquelle les militants ont pu
récolter l’information et qui se traduit par des niveaux
de précision très différents dans la caractérisation
des cas. Elle illustre tout de même clairement : a) l’implication
récurrente des différentes composantes des forces de sécurité ou
de leurs supplétifs ; b) l’importance des exécutions
lors des arrestations, pendant la détention ; c) le nombre non
négligeable
de morts sous la torture ; d) le nombre de morts présentés
comme « victimes d’accrochages » ou de « dangereux
terroristes ayant tenté de fuir » alors que, selon des témoins,
les personnes abattues l’ont été « à froid ».
La mise en perspective de l’ensemble des témoignages disponibles
permet une périodisation du recours aux exécutions extrajudiciaires
:
—
durant la période 1992-1993, qui correspond au déploiement
progressif de l’appareil répressif (notamment par la mise
en place, en septembre 1992, d’une structure de coordination des
forces spéciales de l’armée), les EEJ sont encore
relativement rares ;
—
la période 1994-1996 voit la systématisation de la répression,
l’armée et les forces de sécurité s’étant
dotée de moyens conséquents : des milliers de personnes
seront soumises, souvent pendant le couvre-feu, à l’irruption
des forces de sécurité, aux arrestations arbitraires, aux
liquidations dans la rue… Cette répression systématique
est souvent collective. C’est aussi au début de cette période
que font apparition les groupes d’autodéfense, qui seront
légalisés par la suite (voir Dossier n° 17) ;
—
la période 1997-1998 correspond au passage d’exécutions
sommaires de masse aux massacres collectifs, dont les plus notoires sont
ceux de la grande banlieue d’Alger, mais aussi de la wilaya de
Rélizane,
dans l’Ouest du pays. On notera que ces massacres ont eu lieu durant
une période de très forte tension entre le président
Zéroual et ses alliés, d’une part, et l’état-major
et le DRS (Département du renseignement et de la sécurité),
d’autre part ;
—
la période 1999-2001, considérée par certains comme
un temps de « normalisation », n’a pas connu la disparition
de la violence. Après l’entrée en vigueur de la loi
dite de « concorde civile » (juillet 1999), l’année
2000 verra même une certaine recrudescence des violences. En 2001,
certaines régions, au premier rang desquelles la Kabylie, ont
connu un état d’émeutes permanentes, réprimées
au prix de nombreux morts. En Kabylie, certains observateurs feront état
de la présence de soldats des forces spéciales sous des
uniformes de gendarmes ; et la commission d’enquête présidée
par le professeur Issad conclura, entre autres, que la gendarmerie est
intervenue sans réquisition des autorités civiles, comme
la loi le stipule.
TPP - Algérie
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